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Allocution du Dr Rama Krishna Sithanen, G.C.S.K., Gouverneur de la Bank of Mauritius à la conférence ‘Cap sur la Finance Durable’ organisée conjointement par L’Agence Française de Développement, L’Union Européenne et Business Mauritius

L’Honorable Patrick Gervais Assirvaden, Ministre de l’énergie et des services publics
Son Excellence Mons. Frédéric Bontems, Ambassadeur de France à Maurice
Mons. Jose Maria Troncoso Perera, Chef de Coopération de la Délégation de l’Union Européenne à Maurice
Mme. Laetitia Habchi, Directrice de l’Agence Française de Développement à Maurice.
 
Mesdames et Messieurs,

Bonjour

Je vous remercie vivement de cette invitation pour la deuxième édition de la conférence « Cap sur la finance durable » afin de débattre sur un sujet qui prend une importance croissante dans les discussions et préoccupations politiques globales.

Je profite de cette occasion pour saluer l’initiative conjointe de l’Agence Française de Développement, de l’Union Européenne et de Business Mauritius d’organiser cette conférence avec la participation d’autres acteurs clés qui ont un rôle prépondérant à jouer dans la transition écologique de l’économie.  Le passage vers la finance durable constitue aussi l’une des principales priorités stratégiques de la nouvelle direction de la Bank of Mauritius.

L’environnement et l’économie vont de pair. Au niveau du Forum économique de Davos, cette relation a même été quantifiée. On estime que plus de 50 %s du Produit Intérieur Brut Mondial est tributaire de la nature. Nous ne pouvons qu’imaginer les conséquences pour notre économie et, par ricochet, sur notre survie si jamais les évènements climatiques extrêmes deviennent plus fréquents et plus violents. Bien que tous les pays du monde en subissent les effets, ce sont le continent Africain et les petits états insulaires qui paient hélas le prix le plus élevé.

 Le gouvernement mauricien a, dans son récent discours du programme pour la période 2025-2029, pris l’engagement d’apporter un amendement constitutionnel historique pour inclure les droits de la nature dans le cadre constitutionnel et juridique. Le gouvernement introduira aussi une loi sur les zones écologiquement sensibles pour protéger notre population et notre biodiversité.

En 2023, la Commission Economique des Nations Unis sur l’Afrique a estimé que sur les 20 pays qui seront les plus affectés par le changement climatique, 17 sont en Afrique. Le changement climatique a un impact entre 2 à 9 % dans le budget national au niveau continental. D’autres chiffres sont tout aussi inquiétants… En Afrique du Nord, une pénurie d’eau pourrait affecter 71 %s du Produit Intérieur Brut et 61 % de la population, mettant en péril la sécurité alimentaire de près de 300 millions de personnes.

Mesdames et Messieurs,

Alors que la pandémie a été maitrisée en grande partie grâce à un vaccin, il n’y a malheureusement pas de vaccin contre les aléas climatiques. Notre solution réside dans un changement de notre approche afin d’intégrer l’impact sur la nature dans le processus décisionnel.

Le financement demeure un élément clé dans la transition vers une économie verte. Dans la dernière édition de son African Economic Outlook, la Banque Africaine de Développement indique que l’Afrique devra combler un déficit de financement annuel de 402 milliards de dollars américains d’ici 2030.

À Maurice, le gouvernement estime que la mise en œuvre de nos contributions déterminées au niveau national d'ici 2030 nécessitera des investissements de l'ordre de 6,5 milliards de dollars, dont 2,3 milliards seront financés par le gouvernement et le secteur privé, tandis que les 4,2 milliards restants devront être mobilisés auprès des agences de financement et d'autres sources extérieures. Cela se traduit par des besoins de financement annuels substantiels d'environ 1 milliard de dollars jusqu'en 2030.

Il est impératif de mobiliser les fonds adéquats pour réaliser les objectifs de développement durable. Mais l’ampleur des investissements nécessaires dépasse de loin ce que les États et les pouvoirs publics peuvent fournir. Le secteur privé ainsi que des institutions financières, les banques multilatérales de développement et les partenaires de développement devront aussi apporter leur contribution. Nous sommes tous dans le même bateau et notre survie dépend grandement de notre capacité à nous adapter pour faciliter un développement inclusif et durable. 

A Maurice, on constate un changement graduel mais notable.  Les dernières enquêtes menées par la Banque ont indiqué un certain progrès soutenu vers un système bancaire plus vert. L'exposition totale du secteur bancaire aux projets durables a augmenté de manière régulière, passant de 4,2 milliards de roupies à fin juin 2022 à 10,2 milliards de roupies à fin juin 2024, représentant une croissance moyenne annuelle de 56,1 %. Les facilités de l’AFD et de Proparco ont contribué à la croissance des expositions vertes. Sur la même période, le nombre de demandes de prêts pour des projets durables a augmenté de 80 % en moyenne annuelle.

Il faut souligner un fait important : La finance ne peut tout résoudre à elle seule. Pour affronter les difficultés actuelles, elle doit collaborer avec tous les acteurs du développement : le milieu politique, le milieu universitaire, les organisations internationales, et bien entendu le milieu économique et les ONG’s entres autres.

Maurice a progressé en matière de finance durable. Le pays a connu un changement de son secteur financier, visant à renforcer la gouvernance, la transparence et la durabilité.

Mesdames et Messieurs,

La Bank of Mauritius joue un rôle central dans ce changement. En octobre 2021, elle a inauguré son Climate Change Centre (CCC), un hub dédié à l'évaluation des implications macroéconomiques et financières des risques climatiques. Ce centre travaille non seulement à promouvoir la transition écologique de l’économie, mais également à analyser les impacts économiques des changements climatiques pour améliorer la résilience de notre système financier.

Le CCC a déjà réalisé plusieurs projets visant à promouvoir la finance durable et à intégrer la gestion des risques liés au climat dans le cadre de la politique monétaire, réglementaire et de supervision. La Banque prend aussi en compte les considérations ESG lorsqu'elle investit ses réserves en devises étrangères. Elle a également mis en œuvre une série d'initiatives internes pour réduire ses émissions de carbone de ses opérations physiques.

Notre engagement envers la finance durable va encore plus loin. En 2019, nous avons établi un partenariat stratégique avec la Standard Chartered Bank pour développer un cadre de finance durable.

En 2020, la Bank of Mauritius est devenue membre du Network for Greening the Financial System, le NGFS, qui regroupe d’autres banques centrales et institutions régulatrices. L’objectif de ce réseau est de favoriser la transition vers un système financier durable en participant dans différents groupes se focalisant sur la politique monétaire, la gestion des réserves et le partage d’expérience. La Banque est signataire de plusieurs Protocoles D’accord avec d’autres banques centrales. Ces accords couvrent entre autres la collaboration dans le domaine du changement climatique et la formation. Par exemple, un de nos employés a eu l’occasion de parfaire ses connaissances à travers un stage à la Banque de France.  

La Bank of Mauritius a aussi pris les devants concernant les émissions d’obligations durables. En 2021, elle a facilité l’émission d’obligations durables avec une directive. Ce document définit les différents aspects à prendre en considération avant toute émission. A la Bourse de Maurice, un indice de durabilité a aussi été lancé pour encourager les entreprises à promouvoir les pratiques durables. On voudrait encourager les entreprises Africaines à explorer les possibilités d’utiliser la Bourse de Maurice pour la levée des fonds de finance durable.

Le CCC collabore avec d’autres organisations pour promouvoir un cadre solide en matière de données, de taxonomies et de divulgations, qui est essentiel pour faciliter une tarification plus précise des risques par le marché, permettre des décisions d'investissement plus éclairées et favoriser la croissance du financement climatique. Un cabinet de consultants travaille actuellement sur l'élaboration d'une taxonomie verte nationale, et leur rapport final devrait être soumis cette année.

Par ailleurs, le rapport Future of Banking in Mauritius publié par la Banque a souligné que l'adhésion aux normes ESG internationales est essentielle pour positionner Maurice comme un centre de choix pour le lancement de produits et services ESG en Afrique.   Notre organisme de réglementation comptable local, le Financial Reporting Council Mauritius (FRC Mauritius), travaille, en consultation avec les parties prenantes concernées, sur une feuille de route pour l'adoption éventuelle, à Maurice, des normes IFRS S1 et IFRS S2 émises en juin 2023 par l'International Sustainability Standards Board. Ces normes visent à améliorer les divulgations financières liées à la durabilité et aux risques climatiques. Elles sont applicables pour les périodes de reporting annuelles commençant le 1er janvier 2024 ou après.  

Une de nos priorités demeure le développement de modèles robustes pour comprendre et évaluer les risques posés par les chocs climatiques sur la stabilité des prix et la stabilité du système bancaire. La Banque collabore actuellement avec le Fonds Monétaire International pour développer des modèles macroéconomiques et des tests de résistance climatiques.  En novembre 2024, la Banque a organisé un atelier sur le changement climatique et la stabilité financière, en collaboration avec le FMI, afin de fournir à notre personnel une formation pratique sur l’intégration des chocs climatiques dans un cadre simplifié de tests de résistance, en utilisant des données bancaires spécifiques à Maurice.

La Banque beneficie aussi d'un financement de l'UE/AFD. Ainsi, des cadres d'Expertise France et de la Banque de France fourniront une assistance technique à notre équipe de modélisation climatique. L’AFD fournira également un soutien au secteur bancaire pour renforcer ses capacités et l'alignement de ses pratiques sur les normes internationales.

Business Mauritius bénéficiera également d'un financement de l'UE/AFD pour la mise en œuvre d’un programme d'économie circulaire et pour la réalisation d’études visant à identifier et résoudre les contraintes de financement liées aux projets d'adaptation au climat, à l'érosion côtière, entre autres.

Mesdames et Messieurs,

Un partenariat solide unit Maurice et la France à travers l'Agence Française de Développement (AFD). Ce partenariat a permis de signer plusieurs conventions de financement, dont un prêt important pour le secteur hydrique et une assistance technique liée à ce prêt. Ces initiatives visent à améliorer l'accès à l'eau potable et à l'assainissement, tout en intégrant les enjeux du changement climatique et de la biodiversité.

En effet, la gestion de la ressource hydrique est un défi majeur que Maurice doit relever. Les ressources en eau potable se raréfient et les phénomènes naturels extrêmes s'intensifient. Le Gouvernement de Maurice a ainsi positionné le secteur hydrique comme l'un des axes prioritaires de sa trajectoire de développement durable, en tenant compte de la diversité des enjeux qui y sont liés : adaptation et atténuation, préservation de la biodiversité et inclusion sociale entre autres. Ce prêt de 200 Millions d’Euros, accompagné d'une subvention de 2 Millions d’Euros, vise à améliorer l'accès à l'eau potable et à l'assainissement de l’eau pour la population de l'Ile Maurice et de Rodrigues.

 Maurice a également signé deux nouvelles conventions de partenariat avec l'AFD pour lutter contre le changement climatique et les vulnérabilités liées à l'eau et aux inondations. Ces conventions concernent une étude sur les eaux souterraines à l'île Rodrigues et la mise en œuvre de la Phase 2 du programme AdaptAction. En tant que petit état insulaire en développement, Maurice est particulièrement vulnérable aux conséquences du changement climatique, notamment les cyclones, les tempêtes et les fortes pluies, les raz-de-marée et les fortes houles, mais aussi les périodes de sécheresse et les inondations.

Un exemple concret de projet financé est le programme SUNREF Maurice, développé par l'AFD en partenariat avec les banques locales. Les banques publiques nationales ont reçu un financement de plus de 185 Millions d'euros sur 15 ans. De plus, PROPARCO, une filiale de l'AFD, a accordé des lignes de crédit climatique aux banques privées nationales pour un montant total de 200 Millions d'euros en 2024.

Ce programme innovant propose une ligne de crédit verte pour les entreprises et particuliers, visant à développer les énergies renouvelables, améliorer l'efficacité énergétique et soutenir les investissements nécessaires pour s'adapter aux impacts du changement climatique.

À ce jour, SUNREF Maurice a permis de financer près de 400 projets dans plusieurs secteurs, tels la construction, l'hôtellerie, les PME’s et l'agriculture. Grâce à ce programme, la production de l’équivalent de plus de 250 000 tonnes de dioxyde de carbone par an a été évitée et 15 mégawatts de capacité de production d'énergies renouvelables ont été générées.

Tournant notre regard sur l’avenir, les perspectives pour la finance durable à Maurice sont prometteuses. La stratégie et les initiatives préconisées par le Gouvernement, et soutenues par les acteurs de développement visent à positionner Maurice comme une place financière régionale de premier plan, respectueuse des normes internationales, tout en s'engageant dans une transition vers une finance durable.

Parmi les initiatives, nous prévoyons de signer un protocole d'accord avec la Banque Africaine de Développement pour l’élaboration de directives sur l’investissement durable. De plus, un plan directeur dédié à la fintech est en cours d'élaboration, en vue d’attirer des entreprises technologiques et promouvoir l'innovation dans le secteur financier.

Dans son récent discours programme, le Gouvernement a également mis en avant l'économie verte, les nouvelles technologies et l'économie océanique. Cette orientation créera certainement des opportunités dans les secteurs des énergies renouvelables, des technologies propres et de l'innovation.

Le développement d'une économie verte et océanique vise à conjuguer croissance économique et gestion durable des ressources maritimes. Des projets d'énergies renouvelables pourraient bénéficier de mesures incitatives, notamment dans le domaine de l’énergie solaire et éolien.

Mesdames et Messieurs,

Le monde est en constante évolution et un développement durable est plus que jamais crucial pour notre survie. Être un acteur qui participe à la transition écologique de notre économie devra rehausser notre compétitivité à long terme.

Les avancées de Maurice en faveur de la finance durable sont le fruit d'un effort collectif et d'une vision partagée. Nous continuerons à travailler en étroite collaboration avec nos partenaires internationaux, notamment la France et l'AFD, pour construire un avenir plus durable, plus inclusif et prospère pour notre pays.

Je vous remercie de votre attention.

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